Journée d’étude du 18 novembre 2022. « Pratiques écologiques et sociales de design : enseignements, histoire et perspectives »
PROJEKT / GCAF / CREAT- HEP Vaud / HICSA
Structures co-organisatrices : UPR 7447 PROJEKT - Université de Nîmes UR 4671 ADEF (programme GCAF) - Université d’Aix-Marseille, CREAT - Haute École Pédagogique VAUD (Suisse) EA 4100 HICSA (Histoire culturelle et sociale de l'art) - Université Panthéon Sorbonne 1
« L’Anthropocène marque une crise du sens. Une crise à laquelle le designer ne peut se satisfaire de répondre par le seul moyen d’une réduction de matière, d’empreinte CO2 et d’une sobriété des techniques mais également, par une remise en cause profonde de nos manières d’être au monde, de nous conduire face aux autres humains et non humains, de représenter, de produire et d’habiter[1] ». (Favard et Bertrand, 2021, Conclusion)
Cette journée d’étude interroge les manières « de représenter, de produire et d’habiter » et questionne par différentes approches l’enseignement du design, mais également la nécessaire réévaluation du rôle, des pratiques et des imaginaires dans lesquelles s’inscrivent les disciplines de projet en général et du design en particulier. Les chercheur.e.s du GCAF d’Aix Marseille Université, de PROJEKT de l’université de Nîmes, du CREAT de la HEP de Vaud et de l’HISCA de l’université Panthéon Sorbonne orientent cette nouvelle journée d’étude sur l’enseignement du design[2] dans une perspective écologique et sociale.
Les colloques ou journées d’études « Face à l’anthropocène[3] », « Design et vivants[4] », les expositions « les vivants[5] », « réclamer la terre[6] », « le jardin des délices[7] » ou encore « Mimèsis – un design vivant[8] », pour ne citer que quelques exemples récents, investiguent les relations entre design et vivant à l’ère anthropo-techno-plantocène. La multiplication de ces formes de manifestations est révélatrice des relations complexes (antagonistes, dialogiques), qu’entretiennent les pratiques de design avec la nature et plus largement avec le vivant. Les différentes manifestations scientifiques montrent à quel point ces questions traversent les champs disciplinaires traditionnels et impliquent une pluralité de point de vue. En ce sens, cette journée d’étude croise différents points de vue (historique, esthétique, philosophique, didactique, agro-chimique, artistique) sur les rapports dialogiques entre le design et l’environnement (la nature, le vivant, le milieu). Les différentes contributions ont pour but de nourrir une réflexion didactique sur les enseignements du design. Comment les formations au et par le design[9], c’est à dire les pratiques de design dans un cadre pédagogique peuvent-elles préparer les futur.e.s designers·euses et plus largement les futur.e.s citoyens et citoyennes aux mutations nécessaires face aux impacts des changements climatiques exposés notamment par les rapports successifs du GIEC ? Quelles pratiques peuvent être développées ou transposées dans des cadres pédagogiques ? Une réflexion semble pouvoir (devoir) être menée sur une forme d’épistémologie génétique du design inspirée de la dialectique assimilation/accommodation proposée par Piaget (1967[10]) dans le cadre de ses recherches sur le développement de l’enfant. Ces deux notions semblent fécondes pour aborder à la fois les pratiques situées du design (existantes, émergentes ou à imaginer) et leurs enseignements mais également le « développement » d’apprenti.e.s designers·euses et futur.e.s citoyens et citoyennes. Wallon prolonge le travail de Piaget en soulignant l’influence du « milieu où s’opère la croissance de l’enfant » (Wallon, 1970, p. 94, cité par Lebahar 2009[11], p. 56), mais également l’importance des dimensions symboliques et imaginaires dans le développement des compétences de l’enfant. Ces points particuliers invitent à se pencher sur le « milieu où s’opère la croissance » de d’étudiant.e.s en design mais aussi d’élèves qui pratiquent des formes de design à l’école ou au lycée. Ce « milieu de croissance » irrigue le développement des connaissances et des imaginaires face à des mutations environnementales et sociales qui nécessitent des changements de paradigme. En miroir ou en prolongement, la notion de milieu ou de mi-lieu mise en regard de la notion d’environnement par Petit (2015[12] ; 2017[13]) offre une grille d’analyse des relations qui se sont tissées depuis le XXème siècle entre design et écologie. Faisant référence à Manzini, Petit (2015, p. 38) envisage ainsi un « design du milieu [qui] accompagne une philosophie démocratique (celle des communs) […], attentif à la singularité des communautés qui œuvrent à un monde soutenable, est propre à chaque territoire, il est relatif aux acteurs, aux contributeurs […] ». Cette épistémologie du milieu semble pouvoir être réinvestie pour définir une praxéologie du design « du » et « au milieu » qui n’envisagerait plus des pratiques face à l’environnement, voire contre ou a minima se donnant pour but de s’en accommoder. Ce type d’approche (Petit, 2015, p. 32) a le mérite de permettre de penser une tension structurelle qui traverse le récit moderne dans lequel le design est profondément impliqué. Il permet de mettre en regard « une conception mécaniste du vivant d’« une conception du vivant comme sujet ». Cette distinction permet à Petit d’analyser l’état des relations du design et de l’écologie à l’orée des années 1970. Des rêves technicistes d’optimisation des ressources de Fuller qui conduisent à l’orée des années 1980 « au paradigme de l’écologie industrielle qui repose sur l’analogie entre un écosystème naturel et un écosystème technique » (Petit, 2015, p. 34). Lebahar (2009, p. 55) note que « quoi qu’il fasse, un sujet [le designer], applique au monde réel extérieur ses structures de traitement de l’information et des connaissances […]. Quoi qu’il fasse, le même sujet [le designer], quand il agit, donc quand il transforme un état du monde, doit accommoder ses connaissances et ses objectifs, aux contraintes de la réalité extérieure ». Envisager une « épistémologie génétique » de l’activité de design nécessite donc d’envisager comment cette activité s’est « inscrite » et s’inscrit dans un environnement au sens large et donc de considérer sa dimension située, des points de vue culturel, historique et écologique. D’autre part, il faut considérer les pratiques de design (pédagogiques ou professionnelles) d’un point de vue socioconstructiviste c’est à dire comme développant des connaissances et compétences, mais également des imaginaires en regard d’environnements de projet ou d’un environnement écologique au sens plus large du terme. Ainsi, pour « […] transformer le monde par son action, [le] sujet dispose de moyens d’interprétation et d’action sur le monde : des représentations et des schèmes. Les représentations sont des évocations d’objets absents, futurs ou possibles […]. En construisant de nouvelles connaissances et de nouvelles représentations ce sujet se construit et construit la nouveauté du monde. De ce point de vue, toute représentation est un projet », note encore Lebahar (2009, p. 56). Un design « au milieu » du vivant semble une piste à privilégier pour produire de nouvelles connaissances sensibles sur ce « milieu », de nouveaux imaginaires susceptibles d’irriguer les pratiques du design et de former de futurs designers mais aussi de futurs citoyens et « on ne peut pas faire un design du milieu sans écouter les vivants qui habitent ce milieu. » (Petit, 2015, p. 38). Ce point de vue le « milieu » est à la fois sujet et « mi-lieu » propice à l’émergence d’un design responsable (voire d’une écologie sociale[14]) et de créativités apprenantes. Il est ainsi question, par le design d’apprendre et de comprendre les gens et leurs usages (innovation sociale par le design, care), sur un territoire et ses habitants (diagnostic sensible[15]), sur les matériaux (design de matériaux, agro ou biomatériaux[16], nouveaux textiles), d’envisager des nouveaux imaginaires du vivre avec, ensemble (design fiction[17] sur les interrelations avec le vivant). Pour nourrir une didactique du design qui ne peut s’abstraire des tensions et remises en question qui irriguent les pratiques du design cette journée d’étude propose de croiser les approches théoriques sur les relations entre design et écologie.
Présentation des intervenant.e.s :
Stéphane Laurent : design et nature, perspective historique Stéphane Laurent est historien de l'art, maître de conférences HDR à l’université de Panthéon Sorbonne 1 où il dirige la spécialité Art et industrie (design, mode et arts décoratifs).
Vincent Beaubois : design, culture matérielle et rapport au monde Vincent Beaubois est maître de conférences en philosophie à l’Université Paris Nanterre. Ses recherches s'articulent autour des questions touchant à la technique, aux cultures matérielles, à la philosophie contemporaine et aux gestes de création.
Gwénaëlle Bertrand et Maxime Favard : design, industrie, société et anthropocène. Gwenaëlle Bertrand et Maxime Favard sont designers et maîtres de conférences en design, respectivement à l’université Jean Monnet Saint-Étienne et à l’université de Strasbourg. Leurs recherches visent à interroger les implications industrielles, politiques et sociales du design et des nouvelles technologies à travers l’étude des techniques et l’approche collaborative par le projet.
Antoine Rouilly : perspective agrochimique Antoine Rouilly est ingénieur chimiste, maître de conférences HDR au laboratoire de chimie Agro-industrielle (LCA). Ses recherches portent sur les agro-matériaux, biopolymères, biocomposites, et leurs procédés de mise en œuvre.
Romane Walgenwitz : enseignement-apprentissage du design, écologie et vivant Romane Walgenwitz est designer, ancienne étudiante de DSAA design de l’École Supérieure de design de Marseille (ESDM) diplômée en juin 2022. Son travail de diplôme porte sur la valorisation du byssus de moules. [1] Maxime Favard et Gwenaelle Bertrand, Éditorial : réinterroger les pratiques du design et de l’industrie à l’ère de l’anthropocène. Revue DAM. Dossier Design & industrie à l’ère de l’anthropocène. https://journal.dampress.org/issues/design-industrie-anthropocene/editorial [2] Cette journée fait suite aux journées d’étude et séminaire de travail organisés par les laboratoires PROJEKT et ADEF/ GCAF depuis de 2017. Journée d’étude pédagogie du design - design de la pédagogie à Nîmes le 17 mai 2017 : https://pedagodesign.hypotheses.org Séminaire de travail sur l’enseignement du design à Aix-en-Provence le 4 mars 2020 : https://gcaf.hypotheses.org/seminaire-de-travail-sur-lenseignement-du-design [3] Colloque Design, Sémiotique et Philosophie organisé par PROJEKT (université de Nîmes) et le CAMS/O (université de Toulouse). Intitulé « Face à l’Anthropocène » Nîmes, du 5 au 7 juillet 2021. https://mediationsemiotiques.com/conferences-2021 [4] la journée d'étude « Design & Vivants » organisée le 29/05/2022 par le laboratoire Costech de l'Université de Technologie de Compiègne (UTC). https://www.youtube.com/playlist?list=PLfeKGUNAEjdgZsAaQGRSI-aNH44tWM3sK [5] Exposition présentée à Lille (14/05/2022-02/10/2022), le Tri Postal, dans le cadre de Lille3000 / Utopia. https://www.fondationcartier.com/presse/article/living-worlds [6] Exposition présentée à Paris, Palais de Tokyo (15/04/2022-04/09/2022). https://palaisdetokyo.com/exposition/reclamer-la-terre/ [7] Exposition présentée à Berlin (26/07/2019-02/12/2019, Gropius Bau. https://www.berlinerfestspiele.de/de/berliner-festspiele/programm/bfs-gesamtprogramm/programmdetail_274528.html) [8] Exposition présentée au centre Pompidou Metz qui a pour ambition de montrer « la continuité de la relation privilégiée entre le design et le monde du vivant » (11/06/20222-06/01/2023, Centre Pompidou-Metz. https://www.centrepompidou-metz.fr/fr/programmation/exposition/mimesis). [9] En 2020, un enseignement d’arts appliqués et culture artistique était dispensé à 650000 élèves de lycée professionnel qui ne se destinent pas aux métiers du design. Bordry, G., Flamand, B., & Gellé, G. (2022). La rénovation du deuxième cycle « arts appliqués et métiers d’art » (N° 2022-054-avril 2022). IGÉSR - Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche. [10] Piaget, J. (1967). Biologie et connaissance. Paris : Gallimard. [11] Lebahar, J.-C. (2009). L’analyse de l’activité de conception : Situations professionnelles, situations didactiques, perspectives. Skholê, 15, 53‑74. [12] Petit, V. (2015). L’éco-design : Design de l’environnement ou design du milieu ? : Sciences du Design, n° 2(2), 31‑39. https://doi.org/10.3917/sdd.002.0031 [13] Petit, V. (2017). Perspectives sur le design. Métier, enseignement, recherche. Cahiers COSTECH, 1. Voir également Petit, V. (2018). VI. La mésologie à l’épreuve du technocène. Dans : Marie Augendre éd., La mésologie, un autre paradigme pour l’anthropocène : Autour et en présence d'Augustin Berque (pp. 101-107). Paris : Hermann. https://doi.org/10.3917/herm.augen.2018.01.0101". [14] La notion de naturalisme dialectique proposée par Bookchin est une base féconde pour déconstruire les représentations et envisager des interrelations non binaires avec le vivant. Bookchin, M. (2020), L’Écologie sociale : penser la liberté au-delà de l'humain, 2020, Marseille, Wildproject. Sauvé (2014, p.1), aborde la question des compétences critiques, éthiques, politiques et d’un apprentissage « écologique » pour « accompagner et stimuler le développement d’une écocitoyenneté critique, créative et engagée ». Sauvé, L. (2014). Au cœur des questions socio-écologiques : Des savoirs à construire, des compétences à développer. Éducation relative à l’environnement, Volume 11. https://doi.org/10.4000/ere.662 [15] Sagot, S., & Dupont, J. (2014). Concevoir, par le design, des outils du développement territorial : Diagnostic sensible et création-située. In G. Bertrand & M. Favard, Poïétique du design : Vers de nouveaux paradigmes de la conception ? (p. 87‑112). L’Harmattan. [16] La Cuisine (Nègrepelisse (Tarn-et-Garonne)), Sagot, S., Baur, R., & Bouhara, M. (2012). Design et agro-matériaux. Nouvelles éditions J.-M. Place : La cuisine. [17] Dupont, J. (2021) Exposer le projet d’une uchronie écotopique ou les formes d’un sens commun polémique. Entretien commenté avec le Nouveau Ministère de l’Agriculture in Bardin, C. (Éd.). (2021). Exposer/S’exposer. puppa.
Programme - 9h00 Accueil café
- 9h30 Accueil officiel.le.s : Corinne Le Galle La Salle vice-présidente recherche Unîmes, Michela Deni, directrice de l’UPR 7447 PROJEKT - Unîmes. Pascal Terrien, responsable du programme GCAF au sein de l’UR 4671 ADEF - Aix-Marseille Université.
- 9h45 - Présentation de cadrage de la journée. . Christophe Moineau + Émeline Roy
- 10h00 - 1ère session – Modérateur Jérôme Dupont . 10h00-10h40 - 1ère intervention. Stéphane Laurent
- 10h40 – Pause-café 20’’
. 11h00-11h40 - 2ème intervention. Vincent Beaubois
- 12h 00 Déjeuner sur place
- 13h30 - 2ème session – Modérateur John Didier
. 13h30 - 4ème intervention. Gwénaëlle Bertrand / Maxime Favard . 14h10 - 5ème intervention. Antoine Rouilly
- 14h50 – Pause-café 10’’
- 15h00 - 3ème session – Modérateur Christophe Moineau . 15h00 - 6ème intervention. Romane Walgenwitz étudiante en design diplômée en juin 2022
. 15h15. John Didier et Jérôme Dupont Présentation du Sciences du design n° 15 sur l’enseignement du design
- 15h30 Table ronde – Animation-modération Émeline Roy
- 16h30 – Clôture de la journée |
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